Nouveaux rebondissements dans la mise en vente de Tiktok US. D’un côté, Oracle a fait une offre de 20 milliards de dollars, sans que l’on ne comprenne son intérêt réel dans l’opération. De l’autre, le géant de la grande distribution Walmart s’allie à Microsoft, premier à avoir manifesté son intérêt pour le réseau chinois. (Image Tiktok)

C’est à se demander si derrière l’affaire Tiktok ne se cacheraient pas les équipes de scénaristes et les IA de Netflix. Une intrigue née dans le Bureau ovale, des rebondissements quotidiens et improbables et un suspense quasi insoutenable. Derniers épisodes en date, l’entrée en lice du géant américain de la grande distribution Walmart aux côtés de Microsoft et une proposition d’un montant total de 20 milliards de dollars d’Oracle dont la moitié en actions.

Selon des sources proches du dossier évoquées par le New York Times, il s’agirait désormais des deux offres les plus avancées pour racheter les activités aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande du réseau de partage de vidéos chinois. L’intérêt d’autant de mastodontes pour cette course à Tiktok démontre au moins une chose : la valeur du petit réseau vidéo chinois et des données de ses jeunes utilisateurs. Certains observateurs prédisent un dénouement dans les 48 prochaines heures quand d’autres affirment que la porte reste ouverte à d’autres candidatures (le délai donné par Donald Trump pour conclure la vente court jusqu’au 12 novembre).

Oracle, l’improbable candidat aux 20 milliards de dollars

Oracle, le plus improbable des prétendants à cette acquisition serait le mieux placé dans cette course, si l’on en croit la presse américaine. L’éditeur bénéficierait de la proximité de son patron fondateur, Larry Ellison, et de sa P.D.G. Safra Katz, avec la Maison-Blanche et Donald Trump en particulier.

Mais on peut surtout s’interroger : que vient donc faire Oracle dans cette galère ? Outre sa proximité avec les plus hauts membres du gouvernement des États-Unis, aurait-il dans l’idée de proposer son ERP aux adolescents adeptes de Tiktok, comme le suggère le très ironique CEO de Box, Aaron Levie sur Twitter : « maline, cette stratégie qui consiste à attirer les adolescents vers les ERP dès leur plus jeune âge. ». Difficile de voir quelle convergence de stratégie, l’historique éditeur de bases de données, d’analytique et d’ERP pourrait avoir avec le réseau social chinois. Peut-être cherche-t-il tout simplement à empêcher l’un de ses ennemis jurés, Microsoft, de saisir une telle opportunité. Reste qu’oracle proposerait donc 20 milliards de dollars – le bas de la fourchette de valeur estimée pour Tiktok – pour conclure le rachat. Un montant élevé pour simplement écarter Microsoft de son chemin.

 

Walmart et Microsoft, intéressés par l’e-commerce et le marketing

Selon CNBC, Walmart se serait déjà positionné comme candidat pour ce rachat depuis quelques jours, mais d’abord au sein d’un consortium monté par le COO de Softbank, dans lequel se trouvait également Alphabet. Mais la maison mère de Google qui voyait dans ce rachat un potentiel intéressant pour son cloud, a finalement renoncé par crainte de ne pas réussir l’intégration de Tiktok. Il craindrait aussi les lois sur la concurrence, puisqu’il détient déjà Youtube. Le consortium a donc été dissous et Walmart vient finalement de lui préférer une alliance avec Microsoft dont les détails ne sont pas encore connus.

Le géant de Redmond a été le premier à se jeter sur l’occasion de s’emparer de Tiktok ouverte par le président des États-Unis. Après s’en être pris à Huawei, Donald Trump a en effet annoncé début aout l’interdiction d’utiliser le réseau social qu’il accuse de partager les données de ses utilisateurs avec le gouvernement chinois. Après quoi, le CEO de Tiktok a annoncé qu’il préférait vendre ses activités à un acteur américain plutôt que de les voir disparaitre. Microsoft a même un temps envisagé de reprendre l’ensemble de la filiale de Bytedance, une option vite écartée par la Chine. L’éditeur s’intéresse de près aux données de Tiktok mais hériterait aussi enfin d’une entrée digne de ce nom dans le monde des réseaux sociaux grand public.

La data, encore la data, toujours la data

Pourquoi un tel engouement d’acteurs si différents pour ce réseau social pour adolescents ? Dans ce type d’opération, pas question de se référer à des acquisitions dans des économies traditionnelles. L’enjeu principal, voire unique, est toujours celui des données. En l’occurrence, le futur acquéreur de Tiktok récupérerait des dizaines de millions de coordonnées de jeunes internautes, consommateurs, et de leurs comportements en ligne. Le réseau chinois compte aujourd’hui plus de 90 millions d’utilisateurs aux États-Unis contre seulement 11 millions en janvier 2018 ! Et 50 millions d’États-Uniens sont des utilisateurs actifs quotidiens. Dans le monde, la tendance est la même. Tiktok comptait près de 700 millions d’utilisateurs mensuels actifs en juin, contre 55 millions en janvier 2018 et 507 millions en décembre 2019.  C’est bien là qu’est la valeur de ces entreprises aux aspects frivoles.

« E-commerce et publicité » sont les deux mots clés avancés par Walmart pour justifier son entrée dans le jeu, avec l’aide de la firme de Satya Nadella. Pour l’Américain, il s’agirait de prolonger une évolution digitale de longue date qui lui a valu sa survie dans un monde du commerce mis à mal. Pour Michael Priem, fondateur et CEO de l’adtech Modern Impact, Walmart chercherait aussi depuis longtemps à bâtir un groupe média comme son meilleur ennemi, le Gafa Amazon. « Ils observent de près ce qu’Amazon a réussi avec sa place de marché et ses Amazon marketing services (AMS).  En 2019, il était presque la 3e plateforme média digitale.  Avec un bon modèle publicitaire, l’acquisition de Tiktok serait un moyen rapide pour Walmart de développer sa propre place de marché. »

Mais où est donc passé Facebook ?

Cette bataille peut-être sur le point de se conclure est aussi marquée par une absence assourdissante, celle de Facebook. Et pour cause… Selon d’insistantes rumeurs dans la presse américaine dont le Wall Street Journal, Mark Zuckerberg, patron du réseau social aux 2,5 milliards d’utilisateurs aurait soufflé à Donald Trump l’idée de bannir Tiktok dès l’automne 2019. La croissance effrénée du nombre d’adepte du réseau chinois, en particulier hors de Chine, aurait affolé le Californien. Cela expliquerait également que Facebook qui avait tenté de racheter le Chinois dès 2016, soit totalement absent de la partie cet été. La suite au prochain épisode.

Emmanuelle Delsol